Chronique du 21 novembre 2006

Le départ en cette fin novembre 2006 d’une toute petite unité de pêche locale, le Marcel Angie II, pour le golfe du Saint-Laurent dans le but de pêcher une centaine de tonnes de quotas de morue allouée à l’Archipel n’est-il pas révélateur dune écriture qui s’achemine progressivement vers les dernières lignes d’une grande histoire ? Pas question de revenir livrer à Saint-Pierre ; la distance est trop grande ; il faudra le faire à Terre-Neuve puis rentrer au bercail, avec, par défaut, les dernières captures.

Emprunter une partie de la route tracée de Jacques Cartier lors de son deuxième voyage n’est-il pas le symbole du basculement, lui qui s’aventurait la « terre promise », notre pêcheur lui, aujourd’hui voguant en quête des restes de l’inconscience humaine ? Où sont les eaux poissonneuses que découvrait, subjugué, Giovanni Caboto au large du Labrador en 1497 ? « Quello mare e coperto de pessi li quali se prendenno non solo cum la rete, ma cum le siste, essendoli alligato uno saxo ad ciò che la cista se imposi in laqua… » Eh oui ! La langue (de morue) était déjà internationale ; elle le restera dans nos souvenirs.

Pendant ce temps les ministres européens de la pêche sont réunis pour fixer les taux de capture pour 2007 et 2008 pour les espèces en eaux profondes, un débat difficile entre une volonté affirmée de la Commission européenne de réduire de 33% les quotas, compte tenu de la raréfaction dramatique des ressources halieutiques, et des Etats qui n’accepteront pas une réduction de plus de 15%, politique oblige.

Industrie d’un côté, pêche à dimension humaine de l’autre dans les brumes des derniers espoirs. « Mais avant que le petit pêcheur côtier ne redevienne le berger des troupeaux de poissons et notamment de morue, comme il l’était en quelque sorte à l’époque où ses filets étaient coulés quand il allait les lever le matin et qu’il ramassait de la morue « grande comme des hommes », son mode de vie traditionnel ne sera probablement plus qu’une curiosité de musées sur la côte atlantique du Canada. Tué par la grosse industrie siphonneuse d’océans. Peu importe son drapeau ». L’auteur ? Le Madelinot Pol Chantraine dans… « La dernière queue de morue ». C’était en… 1992.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
21 novembre 2006