Chronique du 7 avril 2008

Un dimanche à Saint-Pierre…

Jour de printemps d’avril quand même les canards se découvrent d’un fil. La neige se sent lâchée par son allié et fond en larmes sous un ciel rayonnant de bonheur. Je déambule, coinçant la bulle dans celle de l’insouciance. Je suis dans la champagne de ma toundra, ruisseaux cheminant entre les ersatz de froidure blanche.

Au loin, deux bâtonnets à fleur d’écume, bateaux sans doute, mais si petits qu’ils frôlent l’imaginaire. D’autres promeneurs cheminent vers les galets. Un chien a aboyé à l’arrière d’une remorque ; c’est aussi jour de grande vadrouille pour les quadrupèdes. Un vélo nous double – je dis nous car nous sommes deux -, premier défricheur de l’été. Guidons-nous sur sa roue.

Les premières odeurs d’une terre qui suinte flattent les narines ; adieu ce froid qui vous éteint, qui vous étreint. Le vent fleure le nord, c’est bon signe ; habituellement il nous glace. Qu’il est bon d’être l’apôtre de ce bout d’isthme ! me suis-je dit en admirant la Pointe du Diamant. « Tes-ti bête ! » m’a henni un cheval, sans chinoiser. Amour et printemps, me suis-je dit, en pensant à Marc Robine, porté par le rêve « du temps des chevaux au temps des cerises », au printemps de la Valse à mille temps, aurait peut-être ajouté Brel. Sur nos rochers on glane l’intensité du bonheur dans les parenthèses du temps.

Difficile de se dire toutefois que l’on ait droit à « un nouveau printemps tout neuf », comme chantait Bécaud, du temps où paraît-il, les repères saisonniers étaient plus évidents qu’aujourd’hui.Quant « à déverser un flot de joie sur la terre », comme le dit l’artiste, faut peut-être se raisonner.

De retour à la maison, j’ai vu Clara Sarkozy à une manif pour la libération d’Ingrid Bétancourt. À sa façon de dire « mon mari », je me suis dit que le printemps des poètes allait peut-être un jour embaumer l’air.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
6 avril 2008