Hubert Reeves, Je n’aurai pas le temps

« Je n’aurai pas le temps »… Sans doute suis-je à un moment de ma vie où la formule fait mouche. Echo d’une chanson aussi, de Michel Fugain. « Pas le temps de visiter toute l’immensité d’un si grand univers… Même en cent ans je n’aurai pas le temps de tout faire » chantait l’artiste en 1967.

Mais il s’agit cette fois du titre du dernier ouvrage de l’astrophysicien Hubert Reeves, homme de référence, pour ma part, depuis que je l’ai découvert, dans la clarté, la chaleur de son propos, avec son accent roulant les « r », sur un petit écran, il y a des années… lumière.

Impossible de rester impassible avec l’astrophysicien Hubert Reeves, lui qui aura voulu coucher sur le papier ses mémoires. Et le lecteur de mieux connaître la destinée d’un homme oscillant entre science, musique, amour de l’homme et de la vie et philosophie. Le livre a d’ailleurs un lien intrinsèque avec la musique dans sa construction même. Ici, première partie rime avec Prélude (allegro), la deuxième avec ouverture (vivace), la troisème avec développement (andante)… « les salles de concert sont mes églises », dit-il. Et le voilà un jour, lui, le scientifique, chef d’orchestre !

Passionnant de suivre l’émergence d’une orientation professionnelle dans la conjonction d’influences, du milieu familial, des rencontres successives et plus tard, des études supérieures. Superbe phrase de la mère, quand elle annonce au jeune Hubert, alors âgé de huit ans et à ses frères, qu’ils iront au Collège Brébeuf à Montréal : « Ce sera votre héritage ; nous n’aurons pas grand-chose à vous laisser, mais vous aurez au moins cela ; l’instruction » (p. 45) Rôle majeur des enseignants qui considèrent leur métier comme une « vocation » : « Ils ont eu une influence certaine sur les choix que j’ai pu faire dans ma vie, notamment au niveau professionnel, comme par exemple l’importance d’acquérir des connaissances et de les transmettre par la suite » (p. 45)

Cheminement entre théorie et pratique, désir intense de comprendre, de varier les approches, initiatives pour éviter l’enfermement de la routine, volonté de découvrir encore et encore, voilà quelques axes clefs qu’Hubert Reeves met en exergue en jetant un regard sur sa vie.

Son livre regorge d’observations exaltantes, dans l’évocation de sa jeunesse, de sa formation, de son entrée dans le monde de l’astrophysique, à l’occasion de ses déplacements à l’étranger. Son voyage en Union soviétique, notamment, est captivant, angoissant d’ailleurs comme si nous entrions soudain dans l’univers du Château de Kafka.

Les derniers chapitres s’orientent vers un ensemble de réflexions philosophiques, dans l’interaction entre homme et cosmos. Nous entrons dans l’exploration du monde intérieur, sans que cela soit contradictoire avec la compréhension, toujours en mouvement, de l’univers. Emouvantes ces ultimes pages où Hubert Reeves aborde, à l’heure du bilan,… sa propre mort : « Dans quelques décennies (au mieux…), je n’aurai plus accès à mes revues scientifiques favorites. Je suis profondément frustré à l’idée que je serai coupé des nouvelles connaissances aussi bien en astrophysique, qu’en physique, géologie, biologie, etc. » (p.329) Et l’homme de décliner ce qu’il voudrait encore savoir…

Une passionnante leçon de vie, un témoignage enthousiasmant, un guide pour la mise en œuvre d’une vie assumée, un moment d’émerveillement pour qui… prendra le temps, avec délectation, d’aller vers celui qui sait qu’un jour il n’en aura plus.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
6 mai 2008

Hubert Reeves, Je n’aurai pas le temps, Seuil, 2008
ISBN : 978-2-02-097494-3