Chronique du 11 novembre 2008 (2)

11 novembre 2008… Pourquoi ne pas commencer cette journée grisaillante d’un novembre gavé d’humidité par l’écoute d’une chanson déroutante ? Verdun, de Bernard Joyet, deuxième titre d’un album paru en 2002. Ah ! Se pencher dans son jardin et voir les bestioles se battre comme… à Verdun ! « Boucliers et carcasses / S’entassent dans des trous / Et dans un spasme infime / Un soubresaut ultime / Les infirmes victimes / S’embourbent dans la boue / C’est Verdun ». D’ailleurs, « la terre est un foutoir qui ressemble à Verdun » n’est-il pas vrai ?

Puis je me suis plongé dans « le boyau de la mort », sous la plume de Bruno Brel, artiste venu à Saint-Pierre en mars 2006. C’est que son écriture est forte. « Il pleuvait noir », premiers mots » de son récit. Nous sommes en novembre 1915. Distribution de lettres dans une tranchée, au cœur de la Flandre, « dans la boue qui pue le sang et les tripes pourries », dans un « crachin glacial » qui étend « son rideau de tristesse sur toute la largeur du front, de Verdun à Nieuport. » Au cœur de l’horreur, de la folie humaine.

J’ai pensé à Bruno Brel, à son livre sur l’étagère de l’attente. Coup de massue ! Écriture à te tordre l’âme. Sens du récit qui ne te lâche plus. Mon 11 novembre à moi, dans l’effort du lien, pour un regard sur la terrible destinée humaine. Verdun hier ; et les terres déchirées d’aujourd’hui. Qu’avons-nous donc appris ? Force de ces mots de deux rescapés de plusieurs jours d’enfer : « Il… y a… en… core… une…. chance. »

11 novembre 2008, première commémoration depuis la mort du dernier poilu. 90è anniversaire de la fin d’une folie paroxysmique. Nicolas Sarkozy aura voulu honorer « tous les morts », « sous le signe de la réconciliation » de préciser le JDD. Pourquoi le personnage principal du roman de Bruno Brel, tissé à partir d’une histoire véridique, se trouve-t-il, « engagé par tirage au sort » dans le maelström cataclysmique, soldat, puis « adjudant faisant fonction », dans « le boyau de la mort » ? Le Pourquoi , le Pour Quoi ne sont-ils pas essentiels pour prévenir les conflits, avant que ne se déchaîne l’irréparable pour ceux qui se trouvent propulsés sur le terrain de l’horreur ? Comme est celui de la vigilance envers tout dirigeant des « hautes sphères ».

Décembre 1916. « Les uniformes des soldats étendus dans la neige n’avaient plus de couleur. Le sang et la boue les avaient enrobés de cette teinte indéfinissable qui n’appartient à la palette d’aucun bon dieu capable de permettre un tel carnage. » Albert Ier est pris au piège du boyau, lors d’une inspection. Le roi des Belges, chef d’état-major des armées alliées, parcourt la tranchée jonchée de morts, d’agonisants, de chairs arrachées. « Le roi-soldat semblait murmurer à chacun de ces regards éperdus , à chacun de ces regards finissants : « Pardon, mon ami. Pardon ! »

Comment porter le souvenir de ces « morts pour la France », dans le carnage partagé, venus de Saint-Pierre, de l’Île aux Chiens, de Miquelon ? Pour éviter les commémorations à venir des horreurs toujours possibles… « Il y a encore une chance… », comme se le répète le soldat Lievens, survivant d’une tranchée de boucherie, dans le roman haletant de Bruno Brel.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
11 novembre 2008

Bruno Brel, Le boyau de la mort, Christian Navarro Editions – ISBN 2-914909-21-7 – 2005

Bernard Joyet, Prolongations, CD, février 2002