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Coline Malice, Petits moments

À l’heure de la virtualisation excessive – je souris en t’écrivant cette chronique mathurinienne -, j’aime ces objets que sont les CD de plaisir ; plaisir de manipuler l’écrin de promesse de découvertes et de rêveries, d’univers et de sensibilités ; j’aime à parcourir le livret – que j’espère, que j’attends -, et je souris d’aise quand il est réussi ; vient alors le bonheur (en latence) de l’écoute. Là réside l’inconnu. Serai-je ravi à nouveau, comme tant d’autres fois ?

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Il en aura été ainsi avec le CD de Coline Malice, que je ne connaissais pas. Certes avais-je repéré son nom en lecteur assidu de la revue Chorus – autre objet d’enchantement, que je te mentionne à nouveau en passant – ; mais je ne me livre pas à l’écoute comme un glouton vorace. Il faut qu’un jour la table se dresse de son menu surprise.

Coline Malice est belge mais n’en chante pas moins l’Auvergne dans ce premier opus ; en des termes de choix pour y avoir établi son île. Toute son écriture est un carnet d’accompagnement de jeune femme aujourd’hui sortie de l’adolescence (qui dure comme tu le sais beaucoup plus longtemps qu’avant). Le rapport à l’être aimé bénéficie déjà du regard forgé par le temps qui décante et renforce la personnalité. Les chansons ont ainsi le corps qui vous convainc, comme celle du « Vingt-neuvième hiver ». J’ai aimé d’entrée le premier texte, « Toi l’Homme », où l’auteur réussit à brosser le parcours de celui-ci depuis l’aube des temps, sans démonstration particulière, mais par touches délicates qui disent l’essentiel : la force et la fragilité, la brutalité et la sensibilité.

J’ai alors le livret entre les mains, dans ces pages de paysage en vert et bleu, parsemé d’éoliennes et qu’accompagne une jeune femme en plans divers. Les textes se lisent bien. Je suis conquis. Les musiques sont composées, pour la plupart des textes, par Antoine Quinet et les mises en forme sont heureusement aérées. L’auteur s’accompagne d’un accordéon diatonique. La voix est claire, profonde et suave. Les textes sont bien tournés et chaque chanson contient son petit trésor de mots bien pourléchés.

On entre ainsi dans un univers au féminin et l’on se dit que la chanson est riche de renouvellements, d’incarnations bienvenues. Oui, je réécouterai cette « Princesse » du troisième titre, femme qui court sa vie superficielle pour se relire un jour dans le miroir et se poser la question de vérité, pour apprendre enfin « à s’aimer »…

Curieux comme cette voix, par moments, m’évoque en résonance celle d’Alexandra Hernandez, jeune artiste elle aussi, venue d’autres horizons – Saint-Pierre et Miquelon, tu connais ? – et qui se sera retrouvée – je l’aurai appris – en première partie d’un spectacle de celle que je découvre un matin de février. C’était l’été 2008 au Festiv’Art de Lavelanet dans l’Ariège. La tonalité du « Vingt-neuvième hiver » m’aura en particulier intrigué. Parcours de jeunes femmes qui se croisent et qui peuvent se recouper dans leurs sensibilités respectives, voire même dans leur façon de tenir la note, d’ourler les syllabes et d’esquisser leurs images.

Je poursuis mon exploration, avec délectation. Coline Malice revisite le thème du « Père prodigue » de Georges Chelon. Les années ont passé. Sommes-nous davantage imprégnés de séparations ? Pas facile de pardonner toutefois. « Aujourd’hui tu viens m’voir / Mais je ne connais de toi / Que tout mon désespoir ». Pourtant, une petite porte s’entrouve – fatalité des temps d’aujourd’hui ? – « Mais reste dîner ce soir / Si tu en as envie… »

Parcours d’artiste dans « Illogique diatonique », introspection heureuse dans la source d’une écriture renouvelée. Puis autre texte bien brossé que celui de « Photo » avec une chute qui donne tout son sel à la chanson, cette petite touche qui révèle le tableau. Estelle prend des photos, elle s’applique, elle varie ses approches, elle engrange et rentre heureuse. « Mais dans l’enveloppe de ses photos / Des vues d’en bas, des vues d’en haut / 48 belles prises de vues / De son oreille / C’était pas mal vu »… Mais tellement évocateur…

Allez, me suis-je dit – avec malice – , elle est prête pour emprunter le chemin qui conduit vers ses quarante ans. D’ici là, d’autres écritures germeront, pour notre délice. Pourquoi cheminons-nous ? Pour ces « petits moments » de bonheur intense – qui donnent le titre à l’album -, en pensant « aux mille merveilles / qui restent à inventer ». Partir, car tel est aussi le destin inéluctable de la vie. Constat d’adulte, « on s’en va ». Et cette chanson – extrait de fin de spectacle  -, pour un petit point final à cet album, sur un air d’accordéon. Bonne idée assurément. « C’est si simple quelquefois / Comme ça… comme ça ».

J’ai enfin marqué une pause, avant de réécouter « Toi l’Homme », forcément. Car il ne faut jamais laisser bouder ses plaisirs.

Henri Lafitte, Chroniques musicales
24 février 2009

Site de Coline Malice