Chronique du 10 mai 2009

J’ai noté qu’un fournisseur en équipement branché proposait récemment des « coussins refroidissants pour portables ». Pourquoi pas un brevet pour le même type d’équipement pour ceux qui ont chaud aux fesses, me suis-je dit. C’est qu’à force de les serrer, on finit par se comprimer, se contracter, se gripper, se véroler, se décomposer, se liquéfier, se trouduculiser, s’étroniser, se blettir, partir en couilles, se déliter, se désagréger, c’est-dire perdre la consistance sortable et policée du Moi et du Nous.

Je m’étais pourtant surpris à chanter à l’orée de ce mois de mai 2009 : « Un Mexicain basané / Est allongé sur le sol / Le sombrero sur le nez / En guise en guise en guise en guise en guise en guise de parasol ». Pourtant, l’angoisse surgit illico ; pourquoi était-il allongé en aval, ô Marcel (Amont) ? Peut’ ben qu’il était refroidi, sombre héros d’une place au soleil. L’envie de chanter fut alors courte (paille).

Qu’un Mexicain basané soit allongé sur le sol, soit. Mais que l’on puisse attraper la grippe en revenant du Mexique, voilà qu’on aura serré, depuis le retour des vacances les miches précolombines, naturliche, tout le monde se retrouvant en transit (intestinal) dans l’avion Halifax-Saint-Pierre. Car la trouille, figure-toi, est le propre de l’homme, mon cochon. Possible, après tout, que le Mexicain basané se la coulât douce. Pas question, dans nos sociétés frigorifiés – en perte de chaleur humaine -, de se laisser porter par le farniente, n’est-il pas vrai ? Notre vie est anxiogène. La peur nous mène, nous enchaîne, nous entraîne. On n’a pas fini d’étalonner le trouillomètre de nos angoisses.

Qu’un virus porcin, mexicain, A, A/H1N1, aussi mutant dans ses qualificatifs que dans sa structure, dans ses premières morts annoncées, revues depuis à la baisse, vienne nous titiller la cervelle à noirceur, quoi de plus imparable ? Aujourd’hui l’immédiat nous enserre, nous enferre, nous enterre. Télé de proximité, internet, cris d’orfraie d’experts donnent un coup de vieux au ciel qui menaçait de tomber sur la caboche des Gaulois. La Camarde se dissimule dans les dépêches. Mais que fait Santa Maria ? Santa Maria chie dans sa défroque. La crise de foi en l’avenir touche même la sainte trinité.

La société se décompose à l’aune des balises de la trouille. L’autre devient suspect.

À Saint-Pierre et Miquelon, l’inquiétude fut de mise ; elle s’amplifia au fil des jours. La question qui se posait était la suivante : comment se donner les moyens de la surmonter, pour une réussite collective, devant l’adversité ? Les contradictions dans les décisions n’auront pas été rassurantes.

Surgit alors une autre question : n’y aura-t-il pas eu caricature du danger en l’identifiant à des vacanciers ayant choisi le Mexique ? Convenons qu’il y aura eu conjonction malheureuse entre une période de vacances vécue traditionnellement désormais – on n’en est plus à l’émergence d’un phénomène nouveau, tant il nourrit les feuilles des marronniers de l’actu -, donnant lieu à des transhumances vers le soleil et l’émergence d’un risque nouveau qui aura pris corps dans un contexte donné, au Mexique, précisément. Le potentiel pandémique aurait pu se manifester ailleurs ; mais qui peut écrire l’Histoire de l’imprévisible ?

Dans cette situation d’angoisse insulaire, aux effets amplifiés, la fermeture des écoles pendant une semaine – en fait pendant trois jours et demi, du fait du congé du 8 mai -, donnant le temps de suivre l’évolution d’éventuelles incubations, était une bonne chose. Le contre-ordre pour l’ouverture n’aura pas empêché la population d’opter pour un mode opératoire qui relevait du bon sens. Mais il fallait faire preuve de sang-froid pour surmonter les démons toujours possibles des peurs délétères. Sans doute aurons-nous réussi à traverser cette période ; elle laissera des traces dans les mémoires. Car il ne peut y avoir que d’autres rendez-vous avec de grandes incertitudes.

La vie d’aujourd’hui ne nous a-t-elle pas en quelque sorte fragilisés ? Les peurs ne minent-elles pas notre intégrité ?

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
9 mai 2009