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Lekbir Halili, Servez-Vous

Ne redoute-t-on pas les rives nostalgie quand les beaux jours sont là encore, mais que point le jaune ocre d’un automne qui finira bien par s’ébrouer ? J’en étais là de ma rêverie en ce 8 septembre 2010, quand surgit un CD, chargé de couleurs, – et déjà sur ma platine – de rythmes aux influences multiples, chargés d’Orient et d’Amérique septentrionale. Il suffisait de se servir. « Servez-vous », affiche d’ailleurs Lekbir Halili, dans son nouveau CD, tout en français cette fois, lui qui condense dans sa force créatrice son Maroc natal, ses îles d’adoption et le Québec d’exploration. Triptyque de saveurs, d’odeurs, de rencontres, de musicalité. CD richement agencé avec l’appui de musiciens de Saint-Pierre et Miquelon et du Québec, le tout ayant transité pour une bonne part de l’enregistrement et le mastering final par le studio SESAME de Xavier Landry.

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Produit savoureux comme un plat soigneusement épicé, tajine de romances et de rêveries, d’où perle en gouttes d’or l’intense générosité de l’auteur-compositeur-interprète qu’est Lekbir Halili, artiste qui aura su apporter sa palette d’écriture pour une synthèse d’enthousiasme. La pochette s’ouvre sur des remerciements adressés à tous ceux – ils sont nombreux – qui le soutiennent et l’accompagnent. Dès les premières notes, le soleil est au rendez-vous, celui de Montréal où Lekbir aura voulu diversifier son aventure. « Réveillez-moi s’il y a le soleil… » Tout périple a sa part de doutes et de souffrances, mais aussi d’espérance, de réalisation, de dépassement » : cela se passe à Montréal, ville forte de brassage : « Réveillez-moi aux rayons du soleil quand la montagne brille comme de l’or / quand ça tape fort sur la peau du djembé venu de tous les continents… »

Lekbir Halili vibre d’une maturité captivante dans la rencontre entre deux continents, Afrique et Amérique du Nord, transcendée par son ancrage insulaire sur des Grands Bancs plus ensoleillés qu’on ne l’imagine. Cri du coeur : « Ne t’en fais mon amour je tiens à toi ne l’oublie pas » qui donne lieu à cette évocation réussie : « Je franchirai les forêts je reviendrai pas à pas dans les branches de tes veines » ; hymne à la vie dans des échanges ouverts : « Servez-vous la vie est belle » ; et puis cette interrogation forte dans ses nuances, dans une chanson qui retient l’attention, « L’abbé » : « Oh, oh L’abbé, l’abbé / Dis-moi ce qui se passe dans l’au-delà / S’il y a des gosses dans des puits / Qui creusent pour les diamants »… A toi, à toi, l’homme sage / Je rends hommage / Pour le défenseur des sans abris / Je prie Allah Rabbi Moulay / De te faire une place au paradis »… Comment ne pas rendre hommage à mon tour à une telle synthèse créatrice d’humanité, quand tant de gens se déchirent arc-boutés sur leurs religions ?

Treize titres dans une ouverture – fermeture de Montréal à Montréal, avec, en fin d’opus, le premier morceau, en poursuite. Au beau milieu, le thème fédérateur de « L’île » nourricière dans le vécu partagé : « Prête-moi ton île pour dire que c’est la mienne / Pour dire qu’elle est belle / Sur une mélodie d’au Bout du fil / Autour d’un buffet froid sur la belle de l’étoile »… Autant de notes qui frémissent d’évocations de différentes sonorités locales. Open tuning et violon étaient de mise pour porter l’incantation du chant rythmique. Place alors avec plaisir à l’influence plus Amérique centrale. L’auteur salsaïse sa tonicité débordante. « Toc toc la revoilà la revoilà la fille de Cuba / Toc toc la revoilà la revoilà couleur chocolat »…

L’album est dense de surprises accrocheuses, à l’image de cette belle composition qu’est le neuvième titre « Marra marra (de temps en temps) », belle dans la symbiose d’horizons pour dire l’amour et le besoin de prendre le temps de l’écoute, en français, en espagnol. Plaisir chez moi soudain de ces ondes évocatrices.

Fougue, mots qui se déploient comme peut le permettre l’orientalité mélodique, force musicale de par la participation de nombreux musiciens de l’Archipel ou du Québec… Thierry Artur, toujours présent aux côtés de l’artiste, Pascal Hutton, Christian Paturel, Alain Lafitte, Denis Bouvier, Bénédicte Laurent… ; mais aussi Polo et André Guay qui signent quelques musiques en compagnie de l’auteur… et d’autres encore, dont Malika, sa fille. Le tout porté, et l’ensemble est probant, par un style fédérateur et affirmé, celui de Lekbir, précisément, « citoyen du monde », comme il le souhaite dans le dixième titre. Occasion de constater çà et là que tant reste à faire pour nous sortir de l’ornière : « Si seulement il existait ? Un pays tolérant, les athées et les croyants les chrétiens et les Païens qui se tiennent la main, ils dansent sur la même cadence… » Plaisir de l’adhésion à ces touches justes et profondes, sans que la joie ne vienne à céder, quels que soient les aléas, les tourmentes et les déceptions. Force de la musique propre aux retrouvailles et au dépassement de soi. Rester vigilant mais sourire revisité, à l’instar du onzième titre.. Et pour terminer, avant la reprise finale, le petit bijou du regard décapant qu’aura permis le bain saint-pierro-franco-québécois, tonalité oblige : « Au début on est tout petit, on est rond comme des billes… » Oui, mais après… Après, ça s’enchaîne, tabarnak, et c’est pas triste, n’en déplaise à ceux qui voudraient nous le faire perdre, le sourire.

Dans son parcours musical, dans la transmutation de ses influences, Lekbir Halili apporte ici une ouverture tonifiante pour un album réussi, avec, à la clef, un livret où l’on ne se lasse pas de folâtrer.

Henri Lafitte, Chroniques musicales
8 septembre 2010

Lekbir Halili, Servez-vous, Productions Lek – 2010