Chronique du 17 octobre 2010

Nuit et regards

Par deux fois la nuit est tombée, vendredi 15 et samedi 16 octobre 2010. Pour m’ouvrir par deux fois à des regards de lumière.

Au centre culturel de Saint-Pierre, tout d’abord, dans la salle d’exposition, la Galerie Barachois, bien nommée en l’occurrence en accueillant les photos de Teddy Seguin, dans ses souvenirs des Bancs de Terre-Neuve où s’entremêlent son expérience sur la Grande Hermine, le chalutier de Comapêche, dont le nom évoque ici nos déchirements sur une mer de chagrin, la rencontre avec des marins de nos îles, face à l’intensité de leur dur métier, et des instants privilégiés de lumière diffuse dans ses tonalités de gris, comme ce panoramique déployé autour de la statue du marin du square Joffre, ou cet instant de transhumance de moutons suivi de leur berger, le long des buttereaux à Miquelon, nappe d’un bleu outremer sur la gauche. Mais mon regard n’était-il pas rivé davantage encore sur les paquets de mer aux brisures blanches enchevêtrées par temps de tabac à l’arrière du pêche-arrière soudain dérisoire ?

Au musée de l’Arche, ensuite, lors du vernissage d’un triptyque de l’inattendu, trois artistes réunis dans la présentation de quelques-unes de leurs œuvres, aquarelles de Somboon Phoungdorkmai , photos d’André Lurde de et celles de Jean-Christophe L’Espagnol de Saint-Pierre et Miquelon. Choc d’émerveillement, découverte intense du Vietnam, au Laos, à la Thaïlande, jusqu’à nos îles, malgré la lumière inappropriée d’un bâtiment mal pensé dès l’origine. Malgré cela, un moment magique, grâce à la passion des organisateurs, musée de l’Arche et Carrefour culturel saint-pierrais, dans une rencontre initiée par le parcours d’un musicien local, Jean-Guy Poirier, deux immenses talents venus d’Extrême-Orient et celui de Jean-Christophe photographe de l’Archipel, aux tonalités non moins expressives.

J’ai été captivé par le lacis des détails des aquarelles de Somboon Phoungdorkmai, de Thaïlande. Veines de bambous, des arbres, des pierres d’Angkor, des toitures du Laos… Fleurs, temples, scènes de vie sont finement ciselées, la précision du détail impressionne, dans un rendu d’atmosphère où l’on flotte soudain entre deux mondes, le réel initiateur et l’univers intérieur de l’artiste, empreint de finesse, de grande sensibilité et sans doute d’une intense sérénité. Nous entrons dans la quatrième dimension de la beauté.

Les photos d’André Lurde captivent le regard. Je rêve encore de cette vue prise de l’intérieur d’un bar vietnamien, avec une profondeur de champ vers l’extérieur à vous couper le souffle. Et cette vieille dame derrière une persienne en osier… Et toutes ces scènes d’un monde si éloigné du nôtre, où les paysages majestueux ne font pas oublier les hommes. Car le photographe est de l’école d’un Doisneau, me dira-t-il. Il aime ces instants fixés soudain où se révèle la richesse de l’humanité que le regard du spectateur peut alors prolonger dans l’infini de la contemplation.

Les instants choisis par Jean-Christophe L’Espagnol nous font toucher plusieurs parts de nous-mêmes, dans des rendus expressifs en noir et blanc ou en couleur, suivant les cas. Scène d’un bateau au quai en eau profonde dans une vue élargie, chargée de mystère dans ses contrastes ; épave sombre sous un ciel bas et lourd à l’Île aux Marins, épaves de voitures bleu, blanc, rouge, à la décharge, évocation saisissante d’une spécificité peu reluisante, malgré l’éclat des tôles entassées ; visage torturé du Christ de notre Calvaire, entre passé d’une présence forte et le chemin, qui sait, de l’oubli…

Trois grands artistes que la vie aura ainsi réunis pour une exposition à la disposition des visiteurs qui se sentiront immédiatement privilégiés.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
17 octobre 2010

Sites internet

http://www.artsomdede.com/
http://www.jclespagnol.com/