Chronique du 24 mars 2011

À Saint-Pierre et Miquelon, on aura donc grandi, la tête tournée vers les nuages, en se posant perpétuellement la question, de l’aube au crépuscule, du temps qu’il va faire. Ici, ou ailleurs, le bulletin météorologique est devenu le feuillet du nécessaire quotidien. S’y adjoignait, occasionnellement, le thermomètre à mercure dans le troufignon de nos fièvres intestines. Puis tout s’est roubignolisé.

Dans les villes (« de grande solitude », comme disait Sardou), sont venues les mesures de pollution, les mesures de niveau de casse-esgourdes. De perte de qualité de vie en dégradation accélérée, on a installé, disséminé les instruments de mesure de la fatalité polymorphe. Taux de dioxyde de carbone, trou dans la couche d’ozone, fonte des glaces et mesure de l’élévation de l’océan. Fait irruption aujourd’hui – car le sarcophage de Tchernobyl avait aussi emmuré nos consciences -, la mesure de la radioactivité de l’air jusqu’au jour des instruments de mesure de survie pure (si je puis dire) et simple (je résume), dans l’auto-aveuglement planétaire.

La machine s’emballe donc ; la Chine même prend ses mesures en pensant aux Nippons. Imagine-toi demain, ô lecteur, dans ta combinaison futuriste avec des sondes à têtes chercheuses pour t’inciter à te planquer à la moindre alerte. Une voix numérisée qui soudain tonitrue : « Mais casse-toi pauv’ contaminé !» Bonjour ton fol amour, si d’aventure, tu es accompagné.

Pour se dédouaner, il advient que l’homme – dans la liquéfaction de tous ses fondements – ait la prétention de vouloir mesurer le… bonheur.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
23 mars 2011