AVE, AVE, AVE…

AVE, AVE, AVE Marie, entonnions-nous, soumis à un Verbe qui nous dépassait, une autorité si céleste qu’on préférait s’adresser à la mère de son fils (si tu m’as bien suivi). Depuis, loin de nous ces AVE enrobés du doux parfum suranné. Du moins le pensions-nous.

Voilà que le Canada nous pond l’AVE, l’autorisation de visa pour entrer par avion sur son territoire (car, étrangement, par bateau, ce n’est pas nécessaire). Après tout, chaque pays n’a-t-il pas le libre exercice de sa souveraineté ? Bref, tout Français et par voie de conséquence, tout Saint-Pierrais-Miquelonnais se trouvent sommés de faire la demande par Internet.

Mais quelle ne fut pas la surprise de nombre d’entre nous, plus à même de ressentir les effets induits par une décision technocratique, de devoir répondre à une question inquisitoriale quant à d’éventuels problèmes de santé. Patatras ! Plusieurs personnes se sont vues, par honnêteté dans leur réponse, confrontées à un refus. Dans la foulée, d’autres ont essuyé le même sort douloureux parce qu’ils avaient la double citoyenneté et que dans ce cas un AVE ne peut être délivré. Or, de nombreuses femmes auront dû, pour des raisons médicales, accoucher au Canada, à Terre-Neuve par exemple. Mais faute de passeport à jour, les voilà coincés.

Bref, nous voilà confrontés à des tracasseries en voulant tout simplement nous rendre en France pour revenir un jour à Saint-Pierre et Miquelon en devant obligatoirement transiter par le Canada, les liaisons directes n’existant pas.

A mon grand étonnement, la réaction locale a été molle. Seuls Annick Girardin, secrétaire d’état alors à la francophonie, Stéphane Claireaux, député et Yannick Cambray, Conseiller économique et social, auront entamé des démarches pour sortir de cet imbroglio. Peu à peu, les témoignages émergent, sur les réseaux sociaux en particulier. Et le député de réagir en direct au JT de SPM 1è le 29 février 2016.

Je n’ai pu m’empêcher de penser au Bait Bill quand à la fin du XIXè, Terre-Neuve décida d’interdire la vente de boëtte aux Français qui surent trouver la parade avec le bulot. Une liaison directe avec la métropole sera-t-elle le « bulot » de demain ?

Certes, des démarches sont entreprises pour répondre aux problèmes spécifiques rencontrés par les archipelliens que nous sommes. Mais j’attends avec curiosité le jour où j’apprendrai que des métropolitains en quête de tourisme dans les grands espaces canadiens se verront refuser leur visa pour raison de santé. N’aurait-il pas été judicieux d’intervenir sur le problème global, en dénonçant les questions abusives comme celle relative à la santé ? La déclaration universelle des droits de l’homme ne mentionne-t-elle pas en son article 12 : « Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée… » Or, la question relative à la santé pour l’AVE me semble être une de ces immixtions.

Je lisais aujourd’hui une information quant à la reprise par Bruxelles du dossier de libre-échange avec le Canada. Ne connaîtrons-nous pas l’aberration de voir un jour la libre circulation des marchandises alors que les humains ne jouiront pas des mêmes facilités ? Curieux monde.

Imagine, ô lecteur, une décision du genre : Tout Canadien entrant sur le sol français devra être détenteur d’un VISA…

Une pétition récente appelait les autorités à mettre en place une liaison directe avec la métropole.
Je mesure la complexité d’un tel dossier. Mais se donner les moyens d’en concevoir la mise en œuvre n’est-il pas opportun ? Une liaison hebdomadaire avec la France ouvrirait des perspectives aux touristes, de part et d’autre, aux missionnaires (la durée d’une semaine est fréquente dans ce contexte quand on inclut les déplacements), aux malades, au fret (à valeur ajoutée – et non pas une focalisation sur la seule question des légumes et autres produits frais). Ainsi nous pourrions faire un bras d’honneur à ceux qui outrepassent les règles élémentaires du droit des peuples.

AVE Canada – moritori te salutant.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
1er mars 2016