Récit de l’ailleurs 2017 – Irina Teodorescu, Les étrangères

Registre complètement différent du crû 2016 pour le « Récit de l’ailleurs » primé par les élèves du Lycée de Saint-Pierre et Miquelon « édition 2017. Les étrangères, d’Irina Teodorescu. Choix courageux, convaincant, captivant. Chapeau !, même si je n’en porte pas. D’entrée l’écriture m’a plu, une syntaxe libre, qui se déroule avec fantaisie, suggestive, à même de bien traduire ce qui trotte dans la tête des personnages. Une jeune écolière, de grande sensibilité ! En Roumanie du temps de Ceausescu ! Mais Joséphine est une enfant. Caprice des limbes de la vie… Nous sommes emportés dans le flot tumultueux de la rêverie d’une enfant française et roumaine, dans son cheminement d’enfant et d’adolescente, partagée entre deux mondes, incomprises car différente, rejetée par ses camarades par conséquent.

L’étouffement de son environnement est habilement suggéré ; vient l’accident de Tchernobyl en 1986 et les parents (la mère est française) s’organisent pour s’installer à Paris. Ressenti de l’exil, le tout en accéléré. Vient la chute du mur de Berlin en 1989 et la Roumanie qui se libère à son tour du carcan oppresseur.

Et par-dessus tout, éloignée des développements sentencieux, une écriture alerte qui sait traduire les émotions. Et des observations qui retiennent l’attention : « il n’y a pas de maintenant dans l’enfance, il n’y a que de jours suivants ». (p.63) Plus tard, quand tu seras grand… Je me souviens de cette phrase. Et les leçons, les devoirs pour demain… Est-ce que l’âge du retour à l’enfance se résume à l’attente du lendemain ? Je m’arrête ; comme d’habitude, mes pensées divaguent.

Retour au roman. Mais ce « destin cette façon de vivre à l’écart, même à l’écart d’elle-même » p. 66)… Je pense à une des dernières chansons de Renaud, Les mots « qui vous éloignent des troupeaux »… Et cette façon originale de nous faire entrer dans le monde de la photographie… Saisir l’insaisissable par l’œilleton d’un appareil photo ? Une gageure. Le traduire par l’écriture ? Montrer « l’invisible du monde » (p.93)  Irina Teodorescu relève ce défi. Et les lycéens de l’archipel auront su saisir au bond cette originalité.

Les années passent au fil des pages. Bucarest, Paris, Bucarest, Paris… Eclosion de l’amour entre deux femmes… Nadia, la danseuse et chorégraphe ; Joséphine, la photographe. Je repense à mes années lycéennes éloignées dans le classicisme alors de mise… Partir à dix-huit ans et se trouver soudain dans un bouillonnement disruptif, sans préparation aucune… Récits de l’ailleurs aujourd’hui qui permettent d’élargir l’horizon de la pensée… Ecriture, littérature, marche de la vie…

Les étrangères. Une façon de « faire un arrêt sur le monde moderne » ? (p.155) Que dire alors des amants de Pompéi ? Une approche supplémentaire de la passion, quoi qu’il en soit, dans une écriture féminine riche, nuancée et suggestive. Et les âmes étroitement enlacées de devenir étrangères…, étranges…, humainement perturbantes…

Henri Lafitte, Chroniques insulaires

8 avril 2017

Irina Teodorescu, Les étrangères – Gaïa, 2015 – ISBN : 978-2-84720-648-7

Disponible à la librairie Lecturama