De la multiplicité nourricière des voix

L’épisode de la fermeture annoncée du Consulat de France à Moncton, dans l’est atlantique canadien, puis la décision de revenir sur cette annonce, suite aux nombreuses réactions d’incompréhension, m’amène à porter une nouvelle fois un regard sur certains fils conducteurs de notre propre politique au sens large du terme, dans un monde en transformation permanente.

Dans sa relation aux autres la France est sans doute marquée par son parcours d’entité occidentale mise en relation avec le reste du monde, à partir notamment des Grandes découvertes, au XVI siècle, la plupart du temps dans un rapport de domination. En cela elle aura participé des impérialismes qui jalonnent l’histoire humaine et qui ne se limitent pas d’ailleurs à l’Occident.

Au sein de l’univers francophone, elle aura tendance, du fait de sa propre émergence en tant qu’entité dans des affres souvent très douloureux – qui n’a pas eu le tournis à l’école au fil des conflits intérieurs qui ont jalonné son Histoire – à vouloir jouer le rôle de grand chef, de sermonneur, de guide suprême dans la définition des orientations. (Esprit de la langue d’oïl contre la langue d’oc, quand tu nous tiens.) Marquée par son jacobinisme qui aura donné lieu au fil des régimes politiques depuis la révolution de 1789 à un centralisme puisant une part de son écriture – Verbe qui se fait chair – dans les époques antérieures monarchiques, son défi est de s’adapter au monde tel qu’il évolue en ce XXIè, en assumant sa propre personnalité, mais dans le respect des autres. Ce qui semble une évidence ne l’est en fait pas. Et ce constat s’applique dans notre propre espace régional.

La langue française en Amérique ne se résume pas en un corpus unique, labellisable. Par conséquent une vision bilatérale entre deux ensembles étiquetés passe inéluctablement à côté d’une complexité qui, elle, donne lieu à une effervescence créatrice sans cesse renouvelée dans le vaste ensemble nord-américain.

Dans l’est atlantique, nous portons une Histoire que les regards tournés vers le sacro-saint terroir et la glèbe devenue hexagonale n’ont pas su percevoir. La vie continue ; il serait desséchant de ne mettre en exergue que le passé. La poésie de demain ne sera nourricière que par la multiplicité de ses voix.

Que les rêves s’envolent pour tisser nos futurs enchantements.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires

30 novembre 2019