Est-ce poussé par les informations concernant la sécheresse en France, touchant les fleuves dont le Rhône, que j’ai ressenti le désir de relire Le seigneur du fleuve de Bernard Clavel, roman paru en 1972 ?
Le récit prend… sa source à la fin de l’été 1840, après deux mois de grande sécheresse. Un patron batelier est aux aguets ; un orage a éclaté en amont. Pourra-t-il redescendre le fleuve avec ses sept péniches portées par le courant (elles seraient tractées par les chevaux à la remonte) ? Pour lui, c’est une question de vie ou de mort, dans la concurrence avec les bateaux à vapeur qui portent un coup mortifère à la batellerie traditionnelle : ses barques contre le Triomphant, le vapeur à aubes… Le suspense est lancé.
On est emporté par la force descriptive de l’auteur. Ambiance, personnages, action… Nous sommes sur le Rhône, dans une purée de pois matinale, niveau d’eau très bas, la décize (descente) est enclenchée. Et l’on retient son souffle.
Il est facile d’établir une correspondance entre ce roman annonciateur de la fin de toute une époque, à l’aube de toute une ère industrielle touchant les transports, avec le tableau de William Turner, Le Téméraire, où l’on voit un bateau à moteur remorquant un gros voilier promis au démantèlement.
Ne peut-on pas être frappé par le cours inéluctable des choses, même quand on sait – avec le recul – qu’on va droit le mur ? C’était le temps du progrès à tout crin, qu’importe les dégâts collatéraux. Quelles leçons en tirer face aux enjeux d’aujourd’hui ? Le roman d’Isabelle Autissier, Le naufrage de Venise, poursuit cette interrogation.
La remonte quant à elle, par une crue exceptionnelle, nous empoigne.
Et il est une écriture pour évoquer le fleuve : « Le vent (…) varlopait le fleuve à contre-fil, soulevant sans les arracher des milliers de copeaux d’argent. » (p.83)
Le temps n’efface pas la magie des mots.
Henri LAFITTE, Chroniques insulaires
7 août 2022
Bernard Clavel, Le seigneur du fleuve, J’ai lu – 1972 – ISBN : 2-277-11590-8