Mathias Enard, Déserter

Le roman peut paraître déroutant au premier abord, dans l’alternance entre deux vécus, celui d’un mathématicien fictif de l’ex-Allemagne de l’Est, communiste, réchappé de Buchenwald et celui d’un soldat dans un maquis méditerranéen qui déserte pour n’être plus qu’un homme en fuite sur les terres de son enfance, désormais en proie à la guerre.

Mais pourtant, très vite, au fil des courts chapitres qui se succèdent, l’on se sent étreint, sans doute concerné alors que chaque jour apporte son lot de clameurs de guerre en Ukraine, au Proche-Orient. Le fil conducteur des conflits destructeurs sous-tend le roman dans ses allers-retours.

L’écriture s’adapte au vécu des personnages, la fille du mathématicien dans l’évocation d’un père au parcours torturé ; le déserteur essayant de sortir de la gangue de l’horreur. 

Le roman nous transporte tout à tour dans un maquis, à Buchenwald, à New York lors de l’attentat des tours jumelles, dans les Balkans quand la guerre aura renié avec la tradition des grandes déchirures, tout comme aujourd’hui avec le conflit entre Russes et Ukrainiens. 

Le personnage clef, Paul, le mathématicien, avait son idéal profond de « paix », de « partage », de « fraternité ». Et les ans se seront succédé. Pour quel constat ?

Le roman transmet de profondes vibrations, par-delà quelques passages d’écriture qui peuvent être plus délicats dans leurs abstractions mathématiques.

Mais il est une intensité, dans la retenue, qui nous empoigne dans ses « strates temporelles ». (p.249)

J’ai lu cette nouvelle en ce lundi 11 décembre 2023 : « Des frappes russes sur Kherson ont fait un mort et trois blessés, selon le maire de la ville »… Mais aussi : « Le Croissant-Rouge palestinien a fait état, lundi, de « plusieurs raids violents » autour de l’hôpital Al-Amal, près de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza. »

L’Histoire se poursuit par-delà les romans…

Henri Lafitte, Chroniques insulaires

11 décembre 2023

Mathias Enard, Déserter, Actes Sud – 2023 – ISBN : 978-2-330-18161-1